Une adolescente pas farouche
Andrée Brabant, "élevée au Champagne" depuis sa naissance à Reims le 23 mai 1901, décide de s'enfuir avec sa mère de la maison après avoir découvert que son père, chef de train, a une maîtresse. Pour ce faire, elle se fait engager comme sténodactylo à 30 francs par mois à Paris en mentant sur son âge et sur ses capacités à lire la sténo. Elle doit admettre en larmes à son patron qu'elle ne l'a jamais apprise. Celui-ci, moyennant des faveurs de la toute jeune fille, accepte de la garder et l'envoie livrer des couteaux suisses dans Paris. C'est ainsi qu'elle rencontre le maître de ballet de Mayol qui lui conseille de prendre des cours de danse et la fait engager chez Mayol où elle devient danseuse à seulement 14 ans, au début de la guerre. "J'avais pour habit mes cheveux et un petit slip" raconte-t-elle. C'est là qu'elle rencontre une amie qui arrondie ses fins de mois en faisant de la figuration pour le cinéaste Abel Gance qui est trop heureux de faire faire ses débuts au cinéma à cette petite ingénue aux yeux bleus et aux longues boucles blondes aux faux airs de Mary Pickford (Il la surnomme rapidement "Poussin" ou "Bébé"), alors très populaire à travers le monde.Découverte par Abel Gance
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| avec Léon Mathot dans Le droit à la vie |
Ce contrat au Film d'Art prévoit qu'elle gagne 30.000 francs par mois la première année, avec une augmentation de 10.000 francs par an. Dans son hôtel particulier de Neuilly, elle accueille n'importe lequel de ses amis dans le besoin dans une de ses douzaines de chambres richement meublées en Louis XV et dilapide son argent pour les nourrir et les vêtir dans ce qu'on appelle bientôt "l'hôtel Brabant".
Elle travaille avec les meilleurs réalisateurs français de l'époque : après Abel Gance, c'est Charles Burguet qui la fait tourner dans L'âme de Pierre et Les yeux qui accusent. Viennent ensuite La calomnie de Maurice Mariaud et Hier et Aujourd'hui de Bernard Deschamps. André Antoine la fait travailler aux côtés de Romuald Joubé dans Les travailleurs de la mer (dont une version restaurée subsiste), puis Germaine Dulac lui confie le rôle principal de La cigarette avec Gabriel Signoret et Henri Pouctal la dirige dans Travail où elle côtoie de nouveau Léon Mathot ainsi que la grande vedette Huguette Duflos.
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| Avec Eric Barclay dans Le rêve |
Son expérience de dactylo lui servira pour le rôle qu'elle tourne dans le dernier film de son contrat au Film d'Art, La maison vide, pour Raymond Bernard et sorti en octobre 1921.
Une popularité grandissante
Elle joue ensuite pour Henry de Golen et Georges Laîné Toute une vie, et La poupée du milliardaire, réalisé par Henri Fescourt, qu'elle tourne à Turin avec Stewart Rome, célèbre vedette anglaise de l'époque. Sa popularité dépasse peu à peu les frontière de la France. Pour ce dernier film néanmoins, la vedette masculine ne parle ni français, ni italien, et l'équipe française ne parle pas l'italien, ce qui assure un tournage cocasse. Après 15 films en 5 ans, elle reçoit des propositions venues d'Amérique qu'elle refuse, d'après Cinémagazine, et prend un repos bien mérité à la campagne.![]() |
| à la campagne |
Ce repos terminé, elle part à Marseille tourner un cinéroman (un film à épisode, ici 10, populaire à l'époque) pour Pathé nommé Taô sous la direction de Gaston Ravel.
Son film suivant s'intitule Réhabilitée où son père veut l'obliger à épouser un homme infidèle. Elle tourne ensuite pour René Hervil Le secret de Polichinelle.
Ivan, l'amant passionné
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| dans Taô |
Inutile de dire que cette situation n'est pas du goût de Nathalie Lissenko qui surgit sur le tournage des extérieurs à la plage de Juan-Les-Pins avec un revolver pour tirer sur les amants. "Heureusement elle m'a toujours ratée" minaude Andrée avec un sourire ingénu dans une interview en 1964. Un garde du corps est alors engagé.
Burn out
Lors du tournage de la scène à cheval, on juge que l'animal n'est pas assez fougueux et, pratiques d'un autre temps, on décide de lui faire respirer de l'ammoniaque. Les deux acteurs ayant, eux, et comme à leur habitude, bu beaucoup de vodka, le cocktail est détonnant. Le cheval, énervé, veut sauter. Mosjoukine le retient, le destrier se cabre et tombe sur Andrée qui se prend un coup de sabot dans la cuisse alors que l'animal se relève : 2 mois d'immobilité et dépression nerveuse pour l'actrice. On retrouve l'anecdote dans plusieurs de leurs interviews respectives. La jeune première garde donc le lit pendant que la troupe part en Corse tourner la suite des extérieurs (après Londres, Douvres et Nice) et tout le monde se retrouve ensuite à Paris pour les scènes d'intérieur.![]() |
| En Égypte |
Andrée récupère et reprend le chemin des studios pour La cible avec Nicolas Rimsky et Nicolas Koline. Mais la jeune actrice a présumé de ses forces et prend deux années de repos forcé. Elle en profite pour voyager, sa grande passion, et découvre la Grèce, et surtout l’Égypte qui deviendra bientôt très importante pour elle. En Grèce, elle devient l'amie intime du neveu du premier ministre Grec Elefthérios Venizélos, agé de 62 ans à l'époque, et elle en tombe enceinte. Le ministre la fait rentrer en clinique pour avorter sur sa demande.
Duvivier et l'adieu aux boucles
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| avec Jean Dehelly dans Le mariage de Mademoiselle Beulemans |
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| avec Max de Rieux et Maurice Guillemin sur le tournage de La cousine Bette |
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| en 1927 |
On le voit, l'actrice sent que les rôles d'ingénues ne sont plus pour elle. Mais le public a probablement le même ressenti : la question est de savoir s'il souhaite vraiment la voir dans un autre type de rôle. Deux années d'absence à l'écran se traduisent souvent par une désaffection des cinéphiles. De fait, à mesure qu'elle approche de la trentaine, elle quitte peu à peu les premiers rôles pour passer au second plan. Alice Tissot est la vedette de La cousine Bette (bien que Mon Ciné annonce Andrée dans "le principal rôle"), Claudia Victrix celle de La Princesse Masha, Marie Bell celle de Madame Récamier, et Rachel Devirys celle de Maternité...
Dans ce dernier film, Andrée Brabant joue même une mère qui devient grand-mère à la fin de l'histoire. Les rôles de petites filles sont bien loin en effet. Pour bien des actrices dont l'âge les éloigne du statut de vedette à l'époque, c'est le même évènement qui vient arrêter leur carrière chancelante de façon brutale : brutalement, les films se mettent à parler. Étonnement d'ailleurs, elle se souviendra plus tard que Maternité était pour elle un court essai de parlant alors que le film est muet. C'est que son réalisateur Jean Benoît-Lévy lui a effectivement fait tourner son premier film parlant, un court métrage intitulé La maison, où elle joue de nouveau la mère du petit Jimmy Gaillard, comme dans Maternité.
Au bonheur des dames, le malheur du parlant
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| Dita Parlo et Andrée Brabant dans Au bonheur des Dames |
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| au Grand Guignol |
Elle est donc adulée dans cette cour, et ne revient s'installer à Paris qu'à la seconde guerre mondiale.
On trouve pourtant des escapades en métropole où elle joue sur scène La fille Elisa, et une interview dans Mon Ciné du 13 avril 1933 nous apprend qu'elle a tourné son "premier film parlant" dans une pension de famille à Enghien-les-Bains, dirigée par Christian Jaque (un court métrage intitulé Le tendron d'Achille). Elle avoue dépenser son cachet au casino entre deux prises.
En 1939, elle joue sur les planches au Grand Guignol des rôles de terreur, comme dans "Un crime dans un maison de fous" de André de Lorde. Elle admet ne pas avoir osé déranger ses anciennes connaissances de cinéma pour reprendre une carrière. Elle tourne pourtant un unique film en 1939.
Cette expérience n'est pas son premier contact avec la scène : un sketch avait été écrit pour elle, qu'elle jouait avec Henri Duval lors des entractes au cinéma où son partenaire lançait "et dire qu'elle est vedette du cinéma muet et qu'elle parle tout le temps !"
Sans une question de Jacques Chancel sur sa fin de vie lors d'une interview, Andrée, modeste, n'aurait pas mentionné qu'elle a joué un rôle dans la résistance aux côtés de Joséphine Baker, période dont elle garde jusqu'à sa mort une pilule de poison qu'elle compte ingérer si sa santé se dégradait.
En 1942, son père qui vivait alors à 100 km de Paris, décède et l'actrice fait l'aller et retour entre sa représentation de matinée et de soirée.
Vendeuse de machines à laver
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| Démonstratrice en électroménager |
En 1955, Ciné Revue lui consacre un article intitulé "Que sont devenues les stars d'autrefois ? Vedette de plus de 100 films, Andrée Brabant abandonna le cinéma par amour". En 1956, elle déménage à Toulon, et y poursuit son métier de démonstratrice au sein d'une grande entreprise locale.
Baroud d'honneur
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| Chez elle en 1964 |
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| Andrée Brabant et Noël Roquevert |
Cette même année 1964, la télévision la retrouve à Toulon pour le premier numéro de l'émission Trente ans de silence de Charles Ford et France Roche, où elle évoque ses souvenirs et se déclare heureuse, un brin nostalgique mais sans regret.
En 1975, elle subit une attaque cardiaque, une épreuve qu'elle surmonte courageusement.
Une très jeune senior
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| Sa photographie favorite |
Dans cette interview, Jacques Chancel répète plusieurs fois qu'elle a tourné 150 films. Andrée se souvient avoir tourné en Espagne, en Italie et en Allemagne entre autre. Pourtant, dans sa filmographie, à part Más allá de la muerte (Au-délà de la mort) qui a été tourné au moins en partie à Paris, et, on l'a vu, La poupée du milliardaire tourné en Italie, on ne trouve pas d'autres titres étrangers. Ce pourrait-il que des films manquent à cette liste (il en faudrait plus de 100 pour arriver à ce compte) ? Quid, par exemple, de ce film Nemrod et Compagnie qui y apparaît comme son premier film alors qu'Andrée ne le mentionne jamais en interview ?
Le 18 août 1982, elle participe à une nouvelle émission de radio sur le travail des émigrés russes dans le cinéma français.
Cette vie remplie se termine finalement le 2 novembre 1989 à l'hôpital de Toulon.
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