samedi 11 avril 2020

Le mariage de Ramuntcho [Et la couleur fut. Les "premiers" films français en couleur (3e partie)]

Pour lire la première partie, c'est par ici.
Pour lire la deuxième partie, cliquez-ici.

Le dessin animé

Comme on peut s'y attendre, la deuxième guerre mondiale met un coup d'arrêt aux tentatives de films en couleur en France. Pourtant, il est un domaine qui avance sur le sujet : le dessin animé. On trouve dans l'ouvrage de Sébastien Roffat, Histoire politique et économique du dessin animé français sous l'Occupation (1940-1944) : un âge d'or ?, le détail de tous les courts-métrages en production pendant l'occupation, dont certains d'entre eux en couleurs ! Paul Grimault, André Sarrut et le studio Les Gémaux produisent plusieurs films en couleurs, dont plusieurs sont désormais disponibles en Blu-ray (Le marchand de notes a été réalisé en couleur (Agfacolor), même si désormais seule une copie noir et blanc subsiste).
Le 7 juin 1947, la cinématographie française nous annonce la sortie prochaine du dessin animé de court-métrage réalisé en Technicolor par Jean Image, Rapsodie de Saturne. Celui-ci est présenté au festival de Cannes puis est exploité avec le long-métrage Tierce à cœur à partir du 10 décembre. Il sort même à Londres deux jours avant ! C'est encore Jean Image qui fera figure de pionnier trois ans après car il sortira le premier long métrage français animé en Technicolor en 1950 : Jeannot l'intrépide.

Le mariage de Ramuntcho


Gaby Sylvia & Frank Villard
Dans le domaine des longs métrages de prise de vues réelles, il faut attendre le 9 avril 1947 pour que sorte "le premier film français en couleurs". Le mariage de Ramuntcho est une fantaisie menée par le chanteur André Dassary (qui chantera l'année suivante "Si vous m'aimiez autant que je vous aime" dans le film de Walt Disney La boîte à musique). Le sujet, un peintre au pays Basque (la première a lieu au casino de Biarritz), est bien sûr fait pour la couleur, même si le propos est mince.

Frank Villard
Le procédé utilisé est cette fois l'Agfacolor, un système allemand ne nécessitant pas de matériel de tournage ou de projection spécifique. Il s'agit en fait de ce qu'il restait de négatif Agfa dans les usines allemandes sur zone d'occupation russe. Certes, il reproduisait moins bien les couleurs que le Technicolor, mais le rapport qualité prix était à l'époque imbattable et il s'agit enfin d'un procédé à synthèse soustractive. Le film arrivait par avion par stock de 100 à 300m tous les jours et les filtres nécessaires étaient envoyés par la valise diplomatiques. Quant aux projecteurs nécessaires, il fallut les faire venir des États-Unis.
Les stocks de pellicule était de qualité inégale, et on décida d'utiliser les "périmés" pour tourner les scènes de nuit, apparemment avec de bons résultats pour cet usage spécifique.
Une fois le stock de pellicule épuisé pour cette production, aucune autre ne fut tournée avant 1953. C'est pourtant un véritable succès : il bat des records à Biarritz, puis à Paris où les directions du Gaumont Palace et du Rex décident de le garder une semaine de plus en exclusivité pour un total de 4 semaines. Il est même projeté à New York au City Theater et à l'Irving.

Il semble néanmoins que la couleur soit la principale raison de ce succès. Robert Blondini dans La défense du 29 août 1947 affirme "L'ennui c'est qui n'y a pas d'histoire. (...) En noir ou en couleur, il y a tout de même un certain degré de sottise qu'il serait bienséant de ne pas dépasser." Et à propos du metteur en scène : "Il n'a pas fait un film pour la couleur mais pour être le premier. (...) Le premier film en couleur français a le tort d'être le millième film en couleur du monde, et d'être encore en retard sur la plupart d'entre eux. Remarquez bien que les vœux du réalisateur et du producteur seront comblés. L'un s'assure la fragile immortalité des futurs manuels cinématographiques. L'autre n'aura pas fait une trop mauvaise affaire."
On est tenté de penser que M. Blondini n'est sans doute pas très loin de la vérité.

G.S. dans Les Lettres françaises n'est pas plus tendre : après avoir souligné "la cruelle inexpérience technique" de l'opérateur et du monteur, "la niaiserie de l'histoire", il juge les acteurs "pour la plupart, en dessous du médiocre". Il poursuit cependant : "Mais la réussite commerciale d'une telle platitude prouve qu'il faut que la France fasse, sans tarder, un grand nombre de films en couleurs." Il est intéressant de noter que l'auteur considère le film comme "le premier film en couleurs français depuis 1939."
Enfin Combat livre la plus laconique mais si révélatrice critique du film le 2 septembre 1947 : "Les trois masques d'André Hugon fut le premier film français parlant. Il n'y a donc aucune raison de désespérer de l'avenir du film en couleurs après avoir vu Le mariage de Ramuntcho, premier film français en couleur."

Voici quelques photos du film publiées dans Ciné-miroir du 29 août 1947 :
Le bandit Ramuntcho : André Dassary



Le mariage de Ramuntcho

Si Ramuntcho a sans doute profité de l'aubaine pour avoir la convoitée (et on l'a vu, maintes fois revendiquée) de premier film français en couleur, il est des poètes qui ont voulu conjuguer art et technique pour proposer un premier grand film français avec un procédé couleur également conçu dans l'hexagone. Est-ce là la clef du succès ?

Pour lire la quatrième partie et la suite des "premiers" films français avec l'aventure passionnante de La belle meunière, c'est par ici.
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