Jeunes filles à marier
Une fois la nouveauté du son arrivée, on essaie rapidement de la marier avec la couleur. Nombre de films américains sortent avec des scènes ou même tout le métrage en Technicolor "bichrome", des séquences aujourd'hui parfois disparues. En France, on attendra 1935 pour que Jean Vallée ("un Normand énergique et fin" selon le peintre Fernand Léger) sorte "le premier grand film français en couleurs". On peut être surpris qu'il s'agisse là du premier film de son réalisateur, qui a donc été supervisé par le vétéran Henry Roussell. Mais l'attente est récompensée car il en tourne et en sort deux coup sur coup.Tout d'abord, Jeunes filles à marier, une comédie légère avec Jules Berry et Maurice Escande dont on voit mal pourquoi ce sujet particulier a été choisi pour ce qui est censé être une avancée historique. On est en effet loin du film de prestige : il s'agit de l'adaptation d'une pièce de boulevard, "Dollars", de Raoul Praxy, avec usurpation d'identité entre millionnaire et secrétaire. Le procédé utilisé, encore à synthèse additive, est nommé Francita et utilise un jeu de miroir pour imprimer tout d'abord les images bleue et verte simultanément, puis la rouge qui, à cause du décalage, provoque une légère parallaxe (des franges qui bavent à chaque mouvement). L'Imparfait note d'ailleurs que "la mise au point de ces couleurs nécessite encore quelques travaux."
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Jules Berry s'amuse à prendre la place de Maurice Escande |
Le populaire du 26 mars et du 5 avril 1935 (confirmé par Pour vous du 14 mars 1935) nous apprend un autre détail fascinant : le tournage à Billancourt se déroule avec les opérateurs "Toporkoff pour la couleur et Marcel Lucain [probablement Marcel Lucien ndlr.] pour le blanc et le noir." Notons au passage que l'expression "noir et blanc" qui nous est si familière n'est pas figée à une époque ou la couleur n'est pas la norme mais l'exception. Mais surtout, cela nous permet de savoir que le film est tourné simultanément à deux caméras : en couleur et en noir et blanc. Deux raisons possibles : soit, à l'instar de Jacques Tati des années plus tard, le procédé est jugé trop peu sûr pour une exploitation en couleur et on tourne une version de secours en noir et blanc, soit il est déjà acté que l'on ne pourra exploiter normalement le film et on tourne une version noir et blanc pour l'exploitation générale, l'unique pellicule couleur étant réservée pour l'exclusivité parisienne à l'Aubert Palace, où il restera jusqu'au 20 août pour mieux ressortir au Gaumont palace l'année suivante, le 3 juillet 1936. A cette occasion, le courrier d'une lectrice parisienne de Pour Vous du 27 août 1936 nous confirme que, bien que les affiches et les journaux annoncent encore le film "en couleur", la copie qu'elle a vue est en noir et blanc.
En tout cas, le même Populaire juge le 12 juillet 1935 qu'il s'agit d'un "vaudeville plat" avec "des chairs cireuses ou trop rouges, des fleurs éclatantes et des figures floues".
La terre qui meurt
Aussi imparfait qu'il soit, ce système permet l'exploitation du film en couleur avec assez de succès pour être adopté dans la production suivante, cette fois-ci adaptée du roman de René Bazin, La terre qui meurt, un drame présenté à sa sortie le 24 avril 1936 au Madeleine comme "un grand film français en couleurs", avec en vedette Pierre Larquey. Il s'agit d'un remake du film de Jean Choux en 1927. Regards du 21 mai 1936 nous apprend que "le procédé français employé, pour être plus au point que celui qui servit à réaliser "Jeunes filles à marier", est très inférieur aux procédés américains". Il ressort tout de même en novembre 1945 en exclusivité au Royal Haussmann !
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Pierre Larquey & Simone Bourday |
Pourtant, le choix d'un réalisateur novice n'était sans doute pas le meilleur choix : Pour vous dénonce le 30 avril 1936 "des dialogues et un découpage qui manque de rythme augmentent encore l'impression d'inactualité du film" et trouve que le film est inférieur à celui de 1927. Côté technique, il accorde également un progrès par rapport à "Jeunes filles à marier" mais dénonce encore la présence de "la bande rouge" et décrit les scènes d'intérieur comme plongées "dans une sorte de brouillard d'où émergent des visages indistincts".
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Une scène de La terre qui meurt |
On notera cependant qu'à ce jour, seul le second film est disponible en vidéo malgré leur potentiel commercial (deux films français parlants et en couleur !). En effet, une restauration de La terre qui meurt a été entreprise par la cinémathèque de Vendée qui propose le film en DVD.
Pour l'anecdote, à la même époque, le français Henri de la Falaise, ex-époux de Gloria Swanson, tourne aux îles Bali, Legong: la danse des vierges, un film en Technicolor "bichrome" disponible en DVD, mais il s'agit là d'un film à capitaux américains.
On peut signaler également les efforts dans l'animation de marionnettes d'Alexandre Alexieff avec notamment La belle au bois dormant, un film de 6 minutes en Gasparcolor, un procédé à l'époque uniquement utilisable en animation, dont voici un court extrait poétique :
Rendez-vous la semaine prochaine pour lire la troisième partie et découvrir les "premiers" films français des années 1940.
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