lundi 19 octobre 2020

Les merveilleux exploits de Nick Carter [Robert Saidreau - Chapitre 2]

Pour lire le premier chapitre de cet essai sur l’œuvre du réalisateur Robert Saidreau, cliquez ici.

Un réalisateur de films policiers ?

Dans le tome 1 de leur Histoire du Cinéma qui traite du Cinéma Français de 1895 -1929, René Jeanne et Charles Ford retiennent bien parmi les réalisateurs du studios éclair le nom de Robert Saidreau, mais contrairement à ce qu'avance Le Film de l'époque, ils ne le situent pas dans la comédie, mais "spécialisé dans les films policiers".
Ils affirment notamment que c'est lui qui dirige la populaire série des films Nick Carter avec Pierre Bressol comme interprète, pour concurrencer le Nick Winter de Pathé. Sur ce point, ils sont assez confus : c'est bien sûr Nick Winter, créé deux ans plus tard, qui parodie Carter, et pas l'inverse.

Nick Carter, première série

Sur Ciné-ressources, on peut lire qu'une série de six films Nick Carter, le roi des détectives a en effet été tournée avec Pierre Bressol en 1908. Les six films auraient été réalisés par Victorin Jasset. Il s'agit, avec leur date de sortie, de :
  • Le Guet-apens (18 septembre 1908)
  • L'Affaire des bijoux (22 septembre 1908)
  • Les Faux-monnayeurs (6 octobre 1908)
  • Les Dévaliseurs de banque (20 octobre 1908)
  • Les Empreintes (27 octobre 1908)
  • Les Bandits en habit noir (15 novembre 1908)
Sur une affiche qui promeut cette première série, on retrouve bien deux des titres (Les dévaliseurs de banque et Les bandits en habit noir) mais est mentionné également "L'emmuré", peut-être un titre alternatif pour un des films.

Nick Carter, la suite

Le site retient également six autres titres plus tardifs, il semblerait en fait deux séries de trois films, d'abord Les nouveaux exploits de Nick Carter également attribués à Jasset :
  • En danger (4 mars 1909)
  • Le sosie ou Une mission périlleuse (11 mars 1909)
  • Le club des suicidés (20 septembre 1909)

et Les merveilleux exploits de Nick Carter (toujours de Jasset) :

  • Les dragées soporifiques (27 septembre 1909) 
  • Nick Carter acrobate (30 janvier 1910)
  • Le mystère du lit blanc (29 décembre 1911) 

Le dernier titre qui interpelle est Max contre Nick Winter qui sort chez Pathé le 31 mai 1912, avec Max Linder. On s'étonne que ce soit Bressol qui remplace Georges Vinter sur le rôle chez la concurrence. Peut-être une erreur ?
Après ce titre, il semble que Bressol se consacre à son personnage récurrent de Nat Pinkerton jusqu'à l'entrée en guerre.

Zigomar

En tout cas, Éclair le remplace dans le rôle par Charles Krauss, qui avait déjà participé aux Exploits, et incarne désormais le détective dans :
  • Zigomar, roi des voleurs (14 septembre 1911)
  • Zigomar contre Nick Carter (22 mars 1912)

De fait, sur la chaîne YouTube de EYE Filmmuseum, on trouve une version néerlandaise de De bende van Z (le gang de Z), titré Zigomar contre Nick Carter
 
On l'aura compris, la série est désormais celle de Zigomar, joué par Alexandre Arquillière, et Nick Carter y joue ici le faire valoir. Impossible de déterminer le réalisateur en visionnant la copie, pourtant avec ses titres d'époque. Au passage, le film fait montre d'une séquence d'animation image par image du mobilier de la maison de jeu de Zigomar qui force l'admiration dans un film policier !
Un autre détail m'a amusé. Lorsque Zigomar se transforme devant sa glace, tel Fantômas, contrairement à une convention admise plus tard, le spectateur ne voit pas son visage dans le miroir (l'acteur l'utilise réellement), mais les lumières du studio qui éblouissent alors la caméra.

 
Pourtant les auteurs persistent plus loin dans le même ouvrage en mentionnant les réalisations des comédies de Saidreau comme étant un renoncement "du film policier de ses débuts". En cela au moins, ils semblent partiellement informés car Le Film, bien qu'il ne mentionne jamais clairement que Saidreau réalise des comédies, insiste à deux reprises que ses films mêlent "gaité" et "comique" avec d'autres qualités. Il est donc plus que probable que, même s'il est effectivement responsable de la réalisation de séries policières, il se soit déjà fait une spécialité de la comédie.
Mais alors si Victorin Jasset est à ce point attaché à la série, qu'ont à dire les auteurs sur ce réalisateur ?
Ils parlent de sa collaboration sur "10 bandes" en collaboration avec Marcel Vibert, dont le plus remarquable serait Au pays des ténèbres (1912). Imdb ne retient que deux titres dont celui-là. Outre cela, ils lui prêtent la direction de la série Zigomar.
Zigomar au Grand Cinéma Plaisir

 
Jean Tulard, pour sa part, attribue tout à Jasset et Jean Mitry le retient également comme réalisateur des Nick Carter.
Françoise Ménager, Présidente du manège de Givet, dans une interview sur France 3 le 8 mars 2016 affirme que l'auteur de Zigomar, Léon Sazie, attaque Éclair en justice, mécontent des adaptations trop libres de Jasset.
Il nous reste 3 hypothèses :
  • Il existerait au moins une autre série Nick Carter, dirigée par Saidreau
  • L'attribution à Jasset d'au moins une de ces 3 séries est erronée
  • René Jeanne & Charles Ford se trompent dans leur attribution

Une autre série ?

Examinons la première. On trouve dans La Cinématographie Française du 9 août 1919 le résumé d'un drame en quatre partie, exclusivité Union-éclair, intitulé Le drame de la villa Mortain dans lequel on retrouve le nom de notre fameux détective Nick Carter. Or, si l'on en croit imdb, Pierre Bressol joue dedans et dirige le film !


 

Ciné Pour Tous annonce pour le 26 mars 1920 la sortie du film Une goutte de sang, avec Pierre Bressol dans le rôle de Nick Carter. On y précise qu'il s'agit d'une "vision dramatique de MM. Étienne Michel et Pierre Brissol. Faut-il en déduire qu'ils sont scénaristes, réalisateurs ou les deux ? Le 17 janvier 1920, la Cinématographie Française semblait avoir répondu à cette question : "scénario de MM. Michel et Bressol.", mais aussi "Bressol a terminé son très beau film dramatique." Donc, dans le cas de Bressol, il semble qu'il assume les deux tâches.

Le 8 mai 1920, une publicité corporative dans La Cinématographie Française présente ces deux films comme une "série Nick Carter".

Il est tout à fait possible qu'il s'agisse là d'une réalisation de Robert Saidreau, non crédité. Mais aucune preuve ne vient étayer cette hypothèse, et la paternité supposée de Saidreau des Nick Carter est évoquée par Ford et Jeanne au sein d'un paragraphe qui traite du cinéma d'avant guerre.

Citons tout de même, pour être aussi exhaustif que possible, les productions américaines, clairement pas réalisées par lui, mais qui reprennent bel et bien le personnage. Le 24 mai 1919, un film intitulé Jack, le roi des détectives, exclusivité des Cinématographes Harry apparaît dans La Cinématographie Française qui brosse un résumé détaillé comprenant Nick Carter. Cependant, il semble qu'il s'agisse là d'une adaptation d'un film américain. Il est dès lors très possible qu'un personnage de détective ait été renommé Nick Carter dans les cartons français.

Le 24 juillet 1920, La Cinématographie Française annonce aussi une série de films Nick Carter par la Broodwell Production Cie dont le titre du premier épisode est censé être Le baiser des cent-mille dollars. Il s'agit en fait de Broadwell Productions et le film en question s'appelle $100,000 Kiss avec Thomas Karrigan dans le rôle principal qui incarnera en effet le détective 14 fois.

Jasset ou Saidreau ?

Concernant la deuxième hypothèse, il est ardu d'attribuer un film formellement à un réalisateur avant 1918. En effet, les génériques et affiches, lorsqu'ils existent, ne les mentionnent pas. Et les revues cinématographiques si utiles pour comprendre l'Histoire de films perdus n'ont pas encore été créées. Le cinéma est alors encore largement une attraction de foire, mal considérée et très peu présente dans la presse qui se limite au mieux à annoncer le titre d'une séance.

Enfin, concernant la troisième hypothèse, et l'éventuelle erreur de la part des auteurs de l'encyclopédie, on s'étonne qu'un ami personnel de Saidreau fasse une erreur aussi grossière. Mais tout est possible. Il semble en tout cas certain que le talent de Saidreau ne se soit pas limité au policier ou même à la comédie comme nous le verrons dans les chapitres suivants.

Pour lire le chapitre suivant sur l’œuvre du réalisateur Robert Saidreau, cliquez ici.

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