Lors des obsèques de Robert Saidreau à Notre Dame de Lorette le 8 décembre 1925, la crème de la cinématographie française est présente pour lui rendre hommage. Acteurs, réalisateurs, producteurs, distributeurs, beaucoup d'entre eux n'ont pourtant jamais tourné avec lui : Mesdames Suzanne Bianchetti, Denise Legeay, Lucienne Legrand, Hélène Darly, Suzy Pierson, Germaine Dulac, Messieurs Dulac & Vandal, Jacques de Baroncelli, René Hervil, Léon Poirier, Léonce Perret, Henry Krauss, Henri Fescourt, René Jeanne, Camille de Morlhon, Harry Baur, Albert Dieudonné, et la liste s'allonge. Vous pouvez d'ailleurs la consulter in extenso dans Comœdia du 9 décembre 1925.
Si ces noms ne vous évoquent peut-être plus grand chose, sachez qu'il s'agit là des plus brillants représentants de leur art. Les passionnés sauront sans doute qu'Albert Dieudonné a été un immortel Napoléon pour Abel Gance, que René Jeanne a été un historien du cinéma encore étudié, que Germaine Dulac est une des premières réalisatrices. Mais qui se rappelle de Robert Saidreau ou de ses films ? Et pourtant, à l'époque de sa mort, il est considéré comme un des meilleurs réalisateurs de comédies "bien françaises" (comprenez : populaire). Certes, et toujours dans Comœdia, Henry Lepage écrit le 12 décembre 1925 dans un hommage à son esprit de comédie, que le récent défunt n'avait somme toute guère de concurrence. "Ils ne sont que trois ou quatre." nous dit-il.
Pas si inconnu que ça
S'il on en croit ses filmographies contemporaines et modernes, Robert Saidreau a pourtant réalisé au moins une quinzaine de films en à peine 5 ans. Parmi eux, des scénarios originaux, des adaptations d'Alphonse Daudet, de Georges Courteline, de Georges Feydeau. Il a eu pour vedette Boucot, Jacques de Féraudy, Jean Dax, Hélène Darly, Suzanne Bianchetti, Dolly Davis, André Dubosc, Pierre Etchepare, Louis Pré Fils, Armand Bernard, Marie Glory, Pierre Larquey, Lucien Baroux, Roger Tréville, etc.
Malheureusement, il a eu pour mauvais goût de mourir relativement jeune, des années avant l'avènement du parlant. Dès lors, ses films ne sont pas diffusés, sont considérés comme mineurs de par leur genre, et pour certains sont sans doute perdus. Sa carrière elle-même est assez mal documentée, surtout concernant ses débuts.
Il faut dire que tout n'est pas toujours clair, mais en consultant les archives. Il est facile de lui prêter des films imaginaires à cause de titres de tournage diffusés dans la presse et au final changés au dernier moment, de films tournés mais jamais sortis, de projets jamais tournés. En revanche, plusieurs de ses films ne lui sont pas attribués comme nous allons le voir.
Acteur passé derrière la caméra
De plus, Robert Saidreau a eu plusieurs vies : au tournant du siècle il est régisseur de théâtre aux Capucines et acteur comme nous l'apprennent l'annuaire de la société des auteurs et compositeurs dramatiques
1901-1902 ("Jean-Marie-Robert Sordes, dit Saidreau, régisseur de
théâtre") et le Journal officiel de la République du 13 février 1907.
Il joue également dans quelques films avant d'en diriger, et a même tourné pour son collègue et collaborateur René Hervil (Knock ou le triomphe de la médecine) alors même qu'il a commencé depuis longtemps sa carrière derrière la caméra.
De la presse, on peut déterminer certains jalons de sa vie privée : il est infirmier pendant la guerre comme le montre L'Excelsior du 1er mars 1915; il "a fait ses études médicales" d'après L'intransigeant du 23 mars 1924; il vient de perdre sa mère, nous rapporte Hebdo Film le 2 septembre 1916, etc.
"Difficile d'en dire plus" nous dit Jean Tulard. Essayons tout de même.
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Robert Saidreau pendant la Première Guerre Mondiale |
J'ai essayé de lister ci-dessous sa filmographie de réalisateur avec les références des informations données. Pour cela, j'ai groupé les rares informations disponibles dans les dictionnaires de cinéma que j'ai confronté à la presse contemporaine. Ainsi, tous les films discutés ci-après ne sont peut-être pas nécessairement de Saidreau mais lui ont été attribué au moins dans une publication, et certains films qu'il a effectivement dirigés ne seront fatalement pas dans ma liste, car il semble établi qu'il a réalisé des films sans les signer et qui n'ont pas été chroniqués à l'époque. Cette semaine, j'aborderai ses débuts en tant que réalisateur, et ses films suivants feront l'objet chacun d'un chapitre publié semaine après semaine.
Films non identifiés au Film D'Art
Si l'on en croit Edmond Jacques dans Le Film du 26 juin 1914, lors de sa visite aux studios du Film d'Art, Louis Nalpas, qui le guide, lui annonce entre autre : "J'ai d'excellents metteurs en scènes et, en ce moment, ils sont tous très occupés." Et en second, après Pouctal, il cite : "Saidreau continue à faire de petits scénarios où la gaité se mêle à l'émotion."
Il est donc acté que Robert Saidreau, dès 1914, travaille, et depuis un certain temps déjà ("continue"), en tant que metteur en scène de comédie, probablement d'autant plus courtes que le long métrage est encore une norme à être inventée. S'il fait partie des 4 réalisateurs que le directeur du studio a cru bon de citer, on peut en déduire qu'il en est un membre important.
Le 17 juillet de la même année dans la même publication, Fernand Suares confirme cet état de fait, qui a même l'honneur d'une interview avec Saidreau : "J'aime le cinéma, me dit-il, et je le considère comme un art naissant auquel il faut faire suivre un chemin artistique comme les autres arts. (...) Un des points décisifs pour l'exécution d'un bon film consiste surtout dans la recherche du cadre propice à l'action, de l'éclairage pouvant donner des tonalités de circonstance. J'ajouterai que l'impression photographique peut souvent émouvoir et par cela même soutenir la faiblesse d'un scénario."
Il est fascinant de voir que les idées exprimées ici s'accordent bien avec les critiques qui seront faites de ses films après guerre : on lui reprochera à plusieurs reprises de privilégier la beauté des images et des extérieurs choisis à la qualité du scénario.
Le 24 juillet, avec une photo, on peut lire un article qui confirme l'expérience de Saidreau qui "s'est fait une spécialité des films de quatre à cinq cents mètres" et "commence en ce moment une série de films de cette longueur, où le comique se mêlera à l'émotion plus intimement que l'on ne l'a fait jusqu'ici."
On imagine aisément que la déclaration de guerre quelques jours plus tard a mis un terme à ce projet, les études médicales du réalisateur s'étant révélées un atout sous les drapeaux.
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Robert Saidreau en 1914 |
Après la guerre
Toujours dans Le Film, mais alors que la guerre touche à sa fin, le 14 octobre 1918, on dresse un bilan du Film d'Art on l'on cite Saidreau parmi les metteurs en scène, mais le seul titre auquel il est associé est un film avec Lucy Jousset où il est acteur : La puce à l'oreille.
Louis Nalpas persiste et signe dans une interview par Jean Pascal pour Cinémagazine du 28 septembre 1928 où il liste Saidreau parmi les metteurs en scène de sa société avant la guerre.
Le 6 décembre 1928 dans Cinémonde, Marcel Levesque se souvient de ses débuts au Film D'Art, et dans l'article est publié une photo de lui et Jeanne Cheirel censée être d'une "comédie filmée de R. Saidreau" de 1917 qui n'est pas nommée. Il est à noter qu'une photo de cette même scène est publiée pour illustrer une interview de l'acteur dans Mon Ciné du 7 septembre 1922 ce qui date le film avant cela, sans plus de précision.
Saidreau a donc été réalisateur dès avant la première guerre mondiale. Cette découverte permet de relativiser l'affirmation de Xavier Mauméjean dans "Drôles de Drames" diffusé le 26 décembre 2009 sur France Culture : "Le Système des Dr Goudron et Pr Plume est ainsi joué dès 1903 au Théâtre du Grand Guignol, coutumier des reprises libres d'Edgar Poe. Et, sous son titre exact, le conte apparaît sur grand écran en 1912, réalisé par Robert Saidreau, pseudonyme de Maurice Tourneur."
Pourquoi Maurice Tourneur aurait-il utilisé un alias ? On note que l'auteur semble ignorer que Robert Saidreau est une vraie personne. Se peut-il alors qu'un film attribué au fameux Tourneur soit en fait une réalisation de Robert Saidreau qui, au passage, joue dans le film ? Si tel est le cas, L'étrange aventure du Docteur Works ne serait pas sa première incursion dans le Grand Guignol.
Alors ? Réalisateur de comédie, de drame, d'horreur, ou... de policier ? Essayons de percer le mystère avec la suite de la filmographie attestée ou supposée de Robert Saidreau.
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