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Un premier long métrage ?
Méfiez-vous de votre bonne est un scénario original de vaudeville du réalisateur Robert Saidreau qui, si l'on en croit Jacques Richard, apparaît à l'écran également. Mais il en parle également comme de sa première réalisation, ce en quoi, nous l'avons vu, il se trompe. Accordons-lui néanmoins qu'il puisse s'agir là d'une production un peu différente : ce n'est en effet pas une série comme les "Chalumeau", mais est-ce pour autant un premier long métrage ?
Sans pouvoir connaître le métrage exact, on peut déterminer qu'il s'agissait d'un film assez long. Dans la dépêche du 18 mars 1920, il est présenté comme l'attraction principale de la séance au Royal de Toulouse.
Le progrès de la Côte-d'Or du 5 septembre 1920 permet de se faire une idée plus précise en décrivant un film en deux parties (ce qui décrit souvent le nombre de bobines) et en promettant "une demie-heure de fou rire". En tout cas, il est considéré à l'époque digne d'être chroniqué parmi d'autres longs métrages
dans la presse, et contrairement aux courts métrages où les journaux
ne listent au mieux que la vedette principale, on dispose ici d'une
distribution aussi riche que prestigieuse pour ce film.
Les acteurs
Bonsoir
du 14 février 1920 le présente dans ses "films de la semaine" et juge
que c'est "une comédie qui n'a que la prétention gaie et qui y réussit
admirablement. M. de Féraudy y est excellent de naturel et, à ses côtés,
MM. de Garcin, Saulieu; Mlles Sergyl et Génin sont des partenaires
pleins d'entrain et de gaité."
L'Avenir du 21 février 1920 tresse des lauriers à ces mêmes acteurs et au réalisateur : "Ciné-Location Eclipse nous fait la bonne surprise d'un film français, Méfiez-vous de votre bonne, qui a obtenu le plus franc et le plus légitime succès. Cette charmante comédie, mise en scène avec un goût parfait, est interprétée de façon magistrale (...)."
Il est notable que Saidreau n'est pas mentionné parmi les acteurs. Joue-t-il vraiment dans le film comme l'affirme Jacques Richard ? En tout cas, la vedette féminine est ici sans conteste Yvonne Sergyl, déjà une habituée de l'écran et qui va connaître l'apogée de sa carrière dans les 4 années suivantes avec d'abord Les mystères de Paris, puis le rôle de Jeanne Hachette dans l'épopée de Raymond Bernard, Le miracle des loups, qu'elle reprendra pour quelques scènes parlantes lors de la ressortie du film en 1930, après quoi elle ne tournera plus qu'un seul film et disparaîtra de l'écran à jamais.
La vedette la plus connue du film est de Féraudy. Il est fréquent de ne créditer à l'époque que le patronyme des acteurs et d'omettre les prénoms. Seulement voilà, à l'époque Maurice et son fils Jacques sont tous les deux des acteurs connus sur scène et à l'écran.
Maurice ou Jacques de Féraudy ?
On trouve mention jusqu'à l'été
de ce film, Paris, en province ou dans les colonies. Jusqu'au 31 décembre 1920, on trouve le film au programme de l'Épatant à Belleville dans le 20e. Le 18 mars au Royal de
Toulouse, le 23 mai au Cinéma Palace de Biarritz, le 2 août à Alger,
etc. Et le film ressort en avril 1922 et on le trouve jusqu'en juin dans les colonies.
À Biarritz, d'ailleurs, on signale d'ailleurs que
l'acteur principal est de Féraudy "de la Comédie Française", ce qui
permettrait de pencher en faveur de Maurice de Féraudy, plutôt que son
fils Jacques qui collaborera ensuite avec Saidreau dans
La paix chez soi. De fait, il n'est pas fait mention à cette occasion d'une collaboration précédente.
Dans le
dictionnaire de Jacques Richard, c'est pourtant Jacques qui est listé pour
Méfiez-vous de votre Bonne, mais pas pour
La paix chez soi.
Or son père Maurice est listé pour L'extra, apparemment de Saidreau en 1923. Mais ce film, autant que je puisse en juger, n'existe pas et je n'en trouve pas trace.
L'extra est cependant le nom d'une pièce, jouée par Saidreau, écrite en 1906 par Pierre Veber, lequel a écrit le scénario de
Cœur Léger réalisé par Saidreau. Il aurait pu s'agir d'un titre provisoire de
Cœur Léger mais aucun des deux Féraudy ne joue dans ce film a priori.
Il y a de quoi s'y perdre.
C'est finalement Le petit courrier du 14 avril 1920 qui permet de trancher en listant "M. J. de Féraudy". Le progrès de la Côte-d'Or du 5 septembre 1920 le confirme en écrivant "Jacques" en toutes lettres et en précisant qu'il joue Le Trapu des Batignolles.
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Jacques de Féraudy
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L'histoire
Cela permet de confirmer également que l'histoire du film tourne autour d'une bourgeoise (probablement Sergyl) que son mari (Saulieu ?) désire mater en simulant un cambriolage avec un complice (de Garcin ?) qui se ferait passer pour un apache (
non, pas Géronimo). La bonne du titre (Génin ?) surprend les plans et aide sa maîtresse à les contrecarrer. Seulement voilà, un vrai voyou (de Féraudy) fait son apparition.
On retrouve cette thématique du faux Apache remplacé par un vrai dans le cinéma français bien après que le terme soit tombé en désuétude : c'est le sujet d'un des premiers films français parlants :
Paris la nuit.
Saidreau réalisateur, acteur ?
On a vu que Saidreau n'est pas mentionné comme acteur dans la presse. Pour ajouter au potentiel mystère, le nom du réalisateur est rarement cité lors de la sortie de Méfiez-vous de votre bonne. C'est encore Le petit courrier qui l'identifie comme réalisateur, bien que son nom soit suivi de la mention "du Palais Royal", rappelant ainsi qu'il est encore plus connu comme acteur que comme metteur en scène.
On trouve également son nom des années plus tard, lorsqu'il essaiera de faire passer le scénario pour original en le tournant de nouveau pour satisfaire la commande d'une riche veuve. Un procès aura lieu où le nom de ce film reviendra sur le devant de la scène. Cela fera l'objet d'un prochain chapitre.