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Une dynastie de scénaristes
Voici une comédie, intitulée à l'origine L'Extra, écrite par Pierre Veber, écrivain à succès déjà maintes fois adapté au cinéma malgré la jeunesse du média. Parmi ses œuvres, on trouve notamment
Les Grands filmé en 1918 par Georges Denola et qui sortira en 1924 dans une nouvelle adaptation à succès de Henri Fescourt. Mais surtout, les fils de l'auteur ont repris le flambeau en écrivant entre autre pour le cinéma, ainsi que son très célèbre petit fils, Francis Veber, qui a écrit
La chèvre, Le dîner de cons, et autres comédies hilarantes.
L'histoire
Dans un article de Jean Le Hallier publié dans Mon ciné du 24
avril 1923, on peut lire le scénario du film : "C'est l'histoire d'un
jeune baron fêtard [Pierre Etchepare] que sa tante pourvoit d'un conseil judiciaire. Peu
satisfait de cette marque de défiance familiale, le baron se fait
chauffeur de taxi afin de pouvoir lui-même conduire sa propre tante et
lui donner de nombreuses émotions, puis, maître d'hôtel pour soirées
bourgeoises. Et c'est en passant les coupes de champagne et les petits
fours qu'il rencontre la jeune fille dont il fera sa femme." Si l'on en croit l'Intransigeant du 7 juillet 1923, il s'agit d'un bien mauvais maître d'hôtel : on y apprend que Pierre Etchepare a cassé 279 assiettes au cours des prises où l'acteur est en cuisine.
Bonsoir s'essaie également à un résumé le 8 mars 1923 : "Le sympathique baron Pierre d'Hennequeville, après une vie dite de "bâtons de chaises", s’assoira commodément dans le fauteuil conjugal que lui offre Suzy Macreuse. Il n'aime pas beaucoup le travail et ses tentatives de relèvement ne font que le conduire plus sûrement dans le labyrinthe du scénario, où il se promène en jeune homme du meilleur monde. C'est en cherchant sa voie qu'il découvre cependant le cœur qui doit se joindre au sien et c'est là la morale du film."
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Robert Saidreau, Mary Belson et Pierre Etchepare
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Sur
la première photo, au premier plan on distingue Robert Saidreau, Mary
Belson, et Etchepare. Le réalisateur mime le rôle d'Etchepare en
figurant le plateau du serveur grâce à son chapeau. Chapeau qu'Etchepare
a gardé, ainsi que son gilet par dessus son costume, confirmant ainsi
que le tournage a eu lieu en hiver.
Sur la deuxième, on voit
Etchepare entouré de jolies filles, probablement dans une des premières
scènes du film : un comportement qui justifierait le "conseil
judiciaire" mentionné plus haut.
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Pierre Etchepare, bien entouré
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Cet article contient une
information de taille : comme pour s'excuser du manque d'originalité du
scénario, Saidreau affirme qu'il est difficile de trouver une idée
nouvelle et drôle "quand on en est à son douzième film comique".
Si
l'on excepte "Dr. Works" dans sa filmographie attestée, qui tient plus
du Grand Guignol que du comique, il nous manque seulement 2 films !
La distribution
Outre le désormais habitué Pierre Etchepare, on trouve la nouvelle venue Mary Belson, dont les journaux loue la beauté. Saidreau l'utilise ici pour la première fois et elle reviendra pour sa production suivante. Dans un plus petit rôle, Suzanne Balco fait également ses débuts et deviendra une habituée des plateaux de Saidreau, pareil pour Émile Garandet.
Dans les récurrents, Gilbert Dacheux, Georges de la Noë et Robert Darthez font leur deuxième et dernière apparition devant les caméras du réalisateur.
Le tournage
L'excellent
Dictionnaire des acteurs du cinéma muet
de Jacques Richard liste ce film comme étant "ressorti" en 1923 d'un
film de 1918. J'avoue ne pas comprendre la raison de cette affirmation
car la presse d'époque rapporte bien les étapes de production classiques
en 1923, à commencer par l'annonce le 30 décembre 1922 du commencement
prochain du tournage.
L'intransigeant nous confirme le 6 janvier 1923 qu'il a commencé et nous précise la distribution, puis nous avise le 24 février que Saidreau a terminé son film au studio de Boulogne, et que le précédent,
L'idée de Françoise, sera bientôt présenté. Le 3 mars, c'est apparemment le montage qui serait fini et le 10 mars, la présentation presse est faite (le 6 mars) et le metteur en scène prépare un nouveau film. ("Tout le monde ne dort pas dans le cinéma.")
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Le tournage de la réception avec Saidreau au loin de dos.
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La réception
Le film sort le 18 mai 1923 au Cinéma des boulevards, on le retrouve le 9 juin à l'Olympia de Clichy.
L'intransigeant a déjà publié sa critique le 13 mars : "M. Robert Saidreau a entrepris de nous donner des comédies
d'écran et son intention est louable." On lui reproche cependant de n'avoir pas assez montré d'extérieurs, et que les personnages ne semblent pas vivre une fois sortis de
l'écran. ("Trop théâtral.")
On en profite pour rappeler l'anecdote de sa mascotte, l'actrice Mirabel, vraisemblablement présente dans ce film également.
La critique d'Auguste Nardy dans Bonsoir du 8 mars jette un jour intéressant sur le style de Saidreau et explique peut-être pourquoi celui-ci est largement ignoré des historiens du cinéma : "M. Robert Saidreau a acquis une véritable maîtrise dans la manière de traiter ces sujets essentiellement parisiens. S'il ne s'attache pas à composer cinématographiquement son ouvrage, il parvient toujours à nous intéresser par un découpage habile et un enchaînement de scènes qui concourt au parfait développement du film. Nous sommes en pleine comédie; l'auteur qui sait éviter les longueurs travaille avec délicatesse et exprime avec goût les sentiments qu'il veut mettre en valeur. M. Robert Saidreau ne cherche pas à nous étonner par des subtilités photographiques ou des truquages savants. Il veut plaire et il va simplement et logiquement à son but."
Nous y voilà. À une époque où Abel Gance révolutionne le langage cinématographique avec
La roue, où l'on peut voir sur les écrans
Vidocq, ou
Robin des Bois avec Douglas Fairbanks, Saidreau nous offre de petites comédies sans prétention du type de celles qui distraient comme prévu lorsqu'elles sortent et qu'on oublie peu après pour ne jamais les revoir. Une sorte de Berthomieu du muet.
On apprend dans Bonsoir du 25 septembre 1923 que
Cœur léger et
Bonheur conjugal ont été "vendus en Amérique."
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Double impression avec une scène du film La légende de sœur Béatrix
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L'image ci-dessus mérite une explication. Publiée dans Mon Ciné, elle a été prise sur le plateau de Cœur léger, mais le photographe, suite à une mauvaise manipulation, a pris deux photos sur la même pellicule, ce qui fait qu'en plus de l'équipe de ce film réunie dans la cuisine, on distingue en surimpression une scène de prière du film de Jacques de Baroncelli La légende de sœur Béatrix. Cela prouve que les deux films ont été tournés en même temps, dans le même studio et qu'ils partageaient le même photographe de plateau.
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