samedi 8 mai 2021

L'Escale de Louis Valray au 7e art

Une redécouverte archéologique

Dans les collections de Lobster Film, Serge Bromberg possédait une copie incomplète d'un long métrage oublié intitulé Escale, d'un réalisateur non moins oublié, Louis Valray. Il discute un jour de celui-ci avec le regretté Bertrand Tavernier qui lui signale l'autre long métrage dirigé par ce M. Valray : La belle de nuit avec Véra Korène.

Après le contact établi avec les héritiers de cet homme, les bobines manquantes pour compléter le premier film, et une copie du deuxième furent localisées. Ces deux films restaurés sont désormais disponibles en DVD, et la surprise est de taille pour un cinéaste aussi obscur. Paul Vecchiali dans son Encinéclopédie, cinéastes « français » des années 1930 et leur œuvre classait déjà le réalisateur parmi les plus grands du cinéma français. Aujourd'hui, celui-ci a les honneurs du Moma et du New York Times.

Un débutant d'expérience

Lors de la réalisation de ces deux films, Louis Valray, dont le vrai nom est Jean Georges Sagot-Duvauroux, et sa femme Anne n'en sont pas à leur coup d'essai. Ce sont des personnalités de théâtre depuis des années.

En 1925 et 1926, on joue "Une visite", écrit par Anne et mise en scène par Louis, également directeur du théâtre des Jonchets. Le couple joue également dans les différentes pièces produites dans la salle.

Le Catalog of Copyright Entries liste dans son édition de 1930 un copyright du 31 décembre 1929 sur la pièce en 3 actes d'Anne, "Tante Marie", laquelle semble avoir été jouée à la Comédie Française en 1934 avec Berthe Bovy et Fernand Ledoux, qu'ils retrouveront plus tard. Le 12 octobre 1931, on y trouve une pièce en 3 actes et 12 tableaux cosignée par le couple : "Maréchal", révélant ainsi leur adresse de l'époque : 4 Place Voltaire à Issy-Les-Moulineaux.

Pour l'écran, Louis Valray a débuté devant la caméra et est mentionné parmi la distribution du film de Jean Choux, La servante, dans le compte rendu du "Journal" du 21 février 1930. Il écrit également pour le cinéma : on trouve un bon article de sa plume dans La nouvelle revue des jeunes du 10 mai 1930 où notamment par le biais des films de Maurice Chevalier, il souligne l'importance de rebondir après que ce soit émoussé l'attrait initial des films parlants, et la nécessité d'utiliser la technique du parlant d'une façon plus aboutie. Ses opinions sont, avec le recul, résolument modernes et gagneraient à être appliquées de nos jours. En mentionnant "Verdun, souvenirs d'Histoire" de Léon Poirier, il écrit "l'élément sonore aurait pu tout naturellement être appelé à jouer un rôle de premier plan, un rôle actif, qui aurait été autre chose qu'une superposition à une image. La parole, au contraire, agit, tout au moins dans la plupart des films parlants que nous avons vu jusqu'ici, par superposition. Il n'en serait pas ainsi si l'auteur la faisait jouer dans le film par son ton, où la place significative qu'elle peut parfois occuper, et non par le sens des phrases émises.(...) Si nous suivons le sens des phrases, nous lâchons du même coup le cinéma." Ce sont ces principes qu'il souhaitera bientôt mettre en pratique.

Le couple a donc ensuite écrit et réalisé un moyen-métrage de 47 minutes, sorti le 19 mai 1933, L'homme à la barbiche avec Robert Le Vigan et Fernand Ledoux, sociétaire de la Comédie Française et déjà tous les deux vedettes établies à l'époque. Il s'agit d'une histoire de rivalité pour un héritage où Le Vigan joue à la fois l'héritier et le demi-frère qui tente de le supprimer pour empocher le magot. Pour l'occasion, Anne Valray change une fois de plus de pseudonyme pour devenir Maria la domestique sous le nom d'Anna Réval.

L'épouse adultère et la putain fidèle

La belle de nuit offre également à Véra Korène un double rôle d'actrice et de prostituée dans une histoire d'adultère et de vengeance improbable de Pierre Wolff, scénariste d'Abus de confiance, qui préfigure la machination de Gavin Elster dans Vertigo. Étonnamment, ce sera le seul titre de sa filmographie où la musique est composée par le viennois Hans May, et pas sa fidèle Jacqueline Batell. Ici, l'intérêt principal est dans la mise en scène remarquable.

Une femme blonde frisée fume une cigarette
Le plan qui introduit la ressemblance de la prostituée jouée par Véra Korène

Dans les acteurs, on trouve des seconds rôles pittoresques comme on les aime, comme Marguerite Mérentié, née en 1880, une soprano qui, à l’issue d’études au Conservatoire de Paris, débute à l’Opéra-Comique en 1904, s’y produisant durant dix ans. En 1909, elle participe à la première de Théodora de Xavier Leroux, donnée à la Scala de Milan mais se retire tôt de la scène. Vous pourrez y voir ici son unique apparition à l'écran.

Nicole Martel joue un rôle d'institutrice reconvertie en prostituée qui mériterait un film à elle-seule. La scène où elle fait réviser d'un ton revêche un bachelier venu prendre du bon temps est sans conteste un grand moment de comédie.

Dans ce film, Louis Valray prouve son attachement à son lieu de naissance en situant une bonne partie de l'action sur le port de Toulon. Peut-être Jean-Louis Sagot-Duvauroux, philosophe et chirurgien-major de la marine au port de Rochefort au XIXe siècle est un ancien ancêtre qui l'a inspiré ?

Une Escale fatale

Une belle femme fardée sirote un verre à la paille
Colette Darfeuil

 Dans le second, le titre et l'histoire évoquent encore plus directement la mer : Escale est un mélodrame qui fait la part belle aux bateaux, marins et à un autre triangle amoureux, un ressort dramatique déjà exploré dans La belle de nuit. Le triangle amoureux a ici ceci de spécial que l'amant qui causera la perte de l’héroïne semble, infiniment plus excitant que le rôle relativement insipide de Pierre Nay, initialement prévu pour Pierre Richard-Willm. C'est que le marin-contrebandier rival en question est Samson Fainsilber, le Richelieu des Trois mousquetaires de Diamant-Berger, mais qui à l'époque aimait bien montrer son corps athlétique dans ses films et les magazines. Il prêtera plus tard sa voix riche en testostérone au père de Bambi dans le chef-d’œuvre de Walt Disney.

Un homme torse nu en tient un autre en vareuse qui baisse la tête devant uen voile de bateau.
Samson porte bien la vareuse mais sait l'enlever opportunément

Autour de la protagoniste, interprétée par Colette Darfeuil, on trouve Simone Renant, qui signe ici son premier rôle important dans un long métrage, bien qu'elle le qualifiera de "silhouette" dans une interview de 1936 dans La Cinématographie Française. On ne peut pas taire non plus la première apparition à l'écran de la célèbre chanteuse Suzy Solidor. On entend d'ailleurs des chansons telles que "La java d'un sou", paroles d'Anne Valray et musique de Jacqueline Batell.

Un homme noir torse nu sourit et chante accroupi.
Féral Benga fait du charme à la caméra
 

On remarque aussi un rôle important, d'ailleurs mis en valeur sur l'affiche, d'un acteur noir, le beau Féral Benga, qui malgré l'inévitable contexte colonialiste de l'époque, s'acquitte avec brio d'un rôle clé dans l'action, fait assez rare pour être souligné.


Dans La belle de nuit, les feux de la rampe sont victorieux : l'actrice adultère revient à son producteur de mari tandis que dans la vie, par contre, Louis Valray choisira de s'éloigner du monde du spectacle, bien qu'on trouve après guerre, listé dans le catalogue des courts-métrages de fiction 1929-1950, un court métrage de 26 minutes, Voyantes et Médiums, où l'on retrouve la même compositrice que dans Escale, et avec ce qui semble être le premier rôle à l'écran de Jacqueline Maillan ! C'est vraisemblablement pour ce seul film que se crée le 31 janvier 1947 la Compagnie des Artisans du Film (CAF), 17 rue Hégésippe-Moreau, dont les gérants sont Messieurs de Barbençhon, Corot, et Louis Valray. Celle-ci ne produira apparemment aucun autre film.

Ce court a été exploité dès le 21 mai 1948 avec la comédie Bichon, avec Armand Bernard. Il semble que ce soit là la fin des relations de Louis Valray avec le cinéma. Il meurt le 3 mai 1972 à Chatou, après une carrière dans l'industrie.

Les DVDs

Si vous souhaitez vous procurez ces films, Ils sont tous les deux disponibles en DVD, restaurés par Lobster Films.


Dans les bonus, vous trouverez, avec Escale, un dessin animé de 1925 réalisé par Walter Lantz, Robinson Crusoé, dans une version sonorisée et avec cartons français. Le dessin animé nous rappelle que Walt Disney n'était pas le seul, à l'époque, avec sa série des "Alice" à mélanger prises de vues réelles et animation.

Quant au bonus de La belle de nuit, outre un Éclair journal qui ravira les passionnés d'aviation, on trouve un court métrage musical, unique opportunité de voir la chanteuse Bessie Smith, St Louis Blues. Comme beaucoup de films de l'époque à la distribution exclusivement afro-américaine, on y retrouve bien des clichés raciaux et l'histoire se résume à la tranche de vie d'une femme trompée et battue, mais irrémédiablement attachée à son homme qui fait preuve ici d'un comportement abject (mais en faisant des claquettes !), le tout n'étant qu'un prétexte pour entendre l'interprétation d'une chanson par la vedette dont les paroles, contrairement à l'action, laissent entendre que le tortionnaire aimé ne reviendra plus, ce dont on doute mais qu'on lui souhaite ardemment.

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