Un terrain d'essai populaire
Les "Silly Symphonies" sont des courts-métrages animés produits, et parfois même réalisés par Walt Disney. Créée pour tirer partie de l'engouement envers la technique du film parlant, alors nouvelle, cette série de films saura se renouveler en inaugurant le procédé trichrome par Technicolor et servira à son créateur de terrain d'essai pour parfaire la technique de ses films.
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Publicité corporative du 23 décembre 1933 dans La cinématographie française |
De nos jours, on se rappelle que ces films ont été multi-diffusés à la télévision, et sont disponibles en vidéo pour qui veut les voir. On sait aussi que les plus connus, comme Les trois petits cochons, ont rencontré le succès en salle en France dans les années 30. Mais qu'en est-il des premières productions en noir et blanc ? La France a-t-elle attendu les récents DVD pour les connaître ? Alors que Walt Disney n'avait pas encore sorti de films sous son contrat avec Les artistes associés signé fin décembre 1930, et sortait toujours ses films chez Columbia aux USA, qui donc s'occupait de distribuer ses films dans l'hexagone ?
L'arrivée en France
Dans Ciné-Journal du 3 avril 1931, une publicité corporative nous apprend que ce sont les producteurs Marcel Delac & Charles Vandal qui se chargent alors de ces dessins animés. Outre cela, on peut y voir qu'on les appelait alors "Les folles symphonies", bien avant le terme "Symphonies folâtres" qu'on retrouvera 3 ans plus tard dans les adaptations en bande-dessinée publiées dès le premier numéro du fameux Journal de Mickey. Cette traduction n'a cependant jamais été utilisée lors de la diffusion des films eux-mêmes jusqu'à preuve du contraire.
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Ciné-Journal du 3 avril 1931 |
Dans la publicité du Ciné-Journal, on précise aussi que 12 dessins animés sont déjà disponibles. On reconnait parmi les personnages mis en avant le protagoniste de "Playful Pan", ainsi que la grenouille et l'oiseau de "Springtime" (à moins qu'il ne s'agisse d'une grenouille de "Night"), et enfin le renard.
Or, Playful Pan est la 15e Silly Symphony sortie aux États-Unis, ce qui tendrait à indiquer que tous les dessins-animés produits jusqu'alors ne faisait pas partie du catalogue Delac & Vandal. Pour autant, sont-ils vraiment les distributeurs des films à proprement parler ?
Une histoire de grenouilles
Au sujet des grenouilles, on notera que les mêmes Delac & Vandal sont chargés du même nombre de films du désormais rival de Disney, et pourtant créateurs de Mickey, avec les films de Flip la grenouille. On retrouve des grenouilles à 3 endroits de la publicité, dont un à mi-chemin de la mention de Flip et des Symphonies. Il se peut que ce soit Flip partout.
Seulement voilà, quelques pages plus loin, une pleine page vante les mérites de Flip "production Vandal et Delac". Mais surprise, le distributeur clairement identifié est Gaumont-Franco-Film-Aubert. Tout se passe comme si Delac & Vandal avaient effectivement produit ces dessins-animés en France (c'est ce que la publicité implique d'ailleurs, en parlant de "production française") et les avaient confiés à Gaumont pour les distribuer en salle. Seulement voilà, nous savons qu'il n'en est rien : il s'agit bien des productions américaines de Ub Iwerks. Tout au plus ont-ils éventuellement réalisé une adaptation française des génériques. Delac & Vandal agiraient donc ici comme une sorte de grossiste, un intermédiaire entre Disney, Iwerks, et Gaumont, qui semble être le distributeur effectif des films (d'Iwerks, en tout cas).
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Flip la grenouille |
En tout cas, c'est le numéro du 20 février 1931 de Ciné-Journal qui nous apprend que Playful Pan, sous le titre de La flûte de Pan, a été diffusé en France avant le long-métrage La patrouille de l'aube (The Dawn Patrol) avec Richard Barthelmess, dans sa version originale en anglais. Lucienne Chapeau, qui rédige la critique, le considère comme "un des meilleurs petits films du genre qu'il m'ait été donné de voir."
Une première aventure marseillaise
Les premiers films sont annoncés avec le terme anglais francisé "Silly Symphonie" dans le journal Le petit Marseillais, et il semble que ce soit uniquement en exclusivité au Capitole de Marseille. La danse macabre (The Skeleton Dance) sort donc ainsi annoncé le 20 décembre 1929 avec La Route est belle. Le 16 janvier 1930, avec ce même long métrage, on présente Le terrible toréador, renommé dès le lendemain Intrépide toréador. Puis c'est au tour du court Les cloches de l'enfer, présenté le 7 février 1930 avec La chanson de Paris avec Maurice Chevalier. Les joyeux nains est l'attraction de complément du Mystère de la villa rose le 2 mars 1930 (le long métrage est à l'affiche depuis le 28 février mais le dessin animé n'est annoncé que le 2 mars).
A partir du 8 mars, c'est l'Eldorado de Marseille qui reprend le programme Danse macabre - Le Route est belle. Mais les premières exclusivités continuent au Capitole. Le 28 mars, Voilà l'été, annoncé la veille comme "Voici l'été", sort au Capitole avec Show Boat.
Le 13 juin, on annonce Voilà le printemps, toujours au Capitole de Marseille, projeté avant Le talion avec Lon Chaney. Le 4 juillet, on joue La nuit, avant La cave sanglante avec Irene Rich. Cette projection a ceci d'extraordinaire que le dessin animé Night n'a pas encore connu sa sortie générale aux USA ! Le film terminé le 18 avril, montré à la presse américaine le 28 avril, connaît sa première d'exclusivité le 12 juin à New York, mais ne sort dans les autres salles du pays que le 31 juillet. À cette date, des français auront pu déjà voir le film à Marseille !
Viennent ensuite L'automne et Vénus avec Constance Talmadge le 1er août 1930. Le thème des saisons se termine avec la sortie de C'est l'hiver, accompagné du film David Golder avec Harry Baur, le 27 février 1931. C'est avec le prestigieux film Les lumières de la ville que sortira Poissons folichons le 10 avril 1931.
À la conquête de l'hexagone
Ce n'est qu'au début mai 1930 qu'on annonce dans Comoedia des présentations à la presse parisienne de "Silly Symphonies", sans donner leurs titres. Lucien Wahl dans L’œuvre du 16 mai 1930 en identifie deux : Danse macabre et L'irrésistible Toréador qui, notons le au passage, a une fois de plus changé de titre.
Avec une diffusion plus large arrivent les insatisfaits. C'est sous la plume de Paul Gilson le 17 octobre 1930 qu'on trouve une
première critique des "Silly Symphonies d'Ub Iwerks" qui "paraissent
trop soumettre au rythme de la musique les images." On notera au
passage, l'importance d'Ub Iwerks dans la presse alors que celui-ci ne
fait plus partie du studio de Walt Disney, qui lui n'est même pas
mentionné.
On trouve mention des "folles symphonies" pour la première fois le 18 mai 1930 dans un article de "L'Information financière, économique et politique" où l'on peut y lire "C'est quelquefois admirable et c'est toujours extrêmement joli." Ce n'est que le 1er janvier 1931 que Delac et Vanal sont identifiés par Comoedia comme les "concessionnaires pour la France, les colonies et divers pays" des folles symphonies et de Flip la Grenouille.
Charles Jouet regrette dans Le Populaire du 24 juillet 1931 qu'on n'annonce même pas ces courts-métrages "d'une grâce et d'une gaîté étonnante" devant les cinémas qui les montrent, alors que "des sornettes qui parlent continuent à encombrer les écrans sous prétexte que tout est bon quand c'est bruit." Fanny Clair dans Le Soir du 15 octobre 1931 les trouve même supérieurs aux "Mickey". J.O. signale dans Ouest Éclair du 9 janvier 1932 spécifiquement que "La Nuit" ("Night") est diffusé avec Pas sur la bouche de Nicolas Rimsky. Il semble que le terme français n'apparaisse plus après 1932. Et celui de "Silly Symphonies" reste : le 15 juillet 1931 au Trianon de Monceau, on trouve La Mère l'Oie à l'affiche, le 14 décembre 1931 C'est Tempête chez les castors qu'on peut voir à L'Alhambra Cinéma d'Avignon. Si l'on en croit Lucien Wahl dans Pour vous du 13 octobre 1932, il semble que Flowers and Trees se soit appelé lors de sa première exploitation française, le 21 octobre 1932, La symphonie matinale, peut-être pour rappeler le titre de la série. King Neptune deviendra Au Royaume de Neptune et Santa's Workshop L'atelier du Père Noël.
Détail cocasse : dans l'Écho d'Alger du 21 juin 1934, on salue la sortie du dessin animé Les trois petits cochons au Colisée par une reproduction du dessin de Nouf-Nouf (Practical Pig an anglais). La légende sous l'image nous apprend qu'à l'époque, il s'appelle "Tommy".
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Couverture de la partition française de la chanson des 3 petits cochons |
Si vous souhaitez en savoir plus sur les Silly Symphonies, je vous conseille l'excellent livre de Russell Merritt et J.B. Kaufman. On y apprend notamment que des versions françaises (visuelles et sonores) ont commencé à être faites avec Les trois petits cochons, et qu'une copie complète de la version française originale du film Le Lièvre et la Tortue
existe encore dans les archives, une version qui, à ce jour n'est pas
disponible au public, la version DVD actuelle étant l'image du cartoon
américain avec un doublage récent par Roger Carel. Si vous souhaitez les regarder, un coffret DVD français existe, mais la plupart des premiers films évoqués ici ne sont disponibles que dans le deuxième coffret, uniquement disponible aux États-Unis.
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