Jules de Spoly, la moustache retrouvée

Un figurant prestigieux

Si vous avez un quelconque intérêt pour le cinéma français des années 1920, il est improbable que vous ne connaissiez pas la firme Albatros. Et si vous la connaissez, il est possible que vous ayez remarqué qu'à la fin des génériques de restauration de ces films, un nom revient souvent à la dernière place parmi les acteurs dont les archives ont permis de déterminer qu'ils font bel et bien partie de la distribution, sans pour autant pouvoir déterminer quels rôles ils ont bien pu y jouer.

Jules de Spoly est de ceux-là, à ceci près qu'il se trouve assez souvent être l'unique interprète non identifié de listes parfois fort bien renseignées, et que quasiment aucun de ses personnages n'est effectivement nommé. C'est que les chroniques de l'époque ont trouvé le personnage aussi notable que ses rôles étaient jugés insignifiants, et avec raison. On retrouve donc souvent son nom au fil de ses recherches sans savoir qui est ce fameux personnage "dont la réputation n'est plus à faire" mais dont la popularité semble s'être limitée à ses pairs. Cela a piqué ma curiosité. De fait, l'homme fait l'objet d'une page wikipedia, une rareté pour ce qui semble être un figurant du cinéma muet. C'est qu'il semble que cette activité soit secondaire et qu'il ait été journaliste et écrivain.

Parmi les impressionnants 36 titres actuellement listés dans l'imdb, seuls 9 personnages lui sont attribués, dont au moins trois fournis par mes soins (je n'ai plus souvenir de tout ce que je fais). On trouve des acteurs ou actrices de l'époque avec infiniment moins de films à leur actifs qui sont bien plus facilement identifiables car autrement plus médiatisés. Je me suis donc lancé dans un travail de recherche pour essayer de rendre à Jules ce qui appartient à César. Je me comprends.

Une moustache identifiée

Première tâche : repérer l'individu physiquement dans au moins un de ses films sur la base des rôles déjà identifiés. Problème : les films où il aurait été possible de chercher son personnage n'étaient pas visibles et ceux qui étaient disponibles ne lui attribuaient pas son rôle.

J'essayais alors de déterminer lequel, parmi les personnages non identifiés, pouvait revenir rôder dans le décor de ces productions. Wikipedia nous apprend qu'il interprétait "essentiellement des personnages d'aristocrates ou de grands bourgeois", ce que confirme L'intransigeant du 28 mars 1925. Soit, je cherchais donc une silhouette plutôt aristocratique. Après des heures de visionnage, je tombais sur un moustachu, Le Vicomte D'Aisy, ami du personnage de Jean Angelo, bien visible dans Le double amour qui pouvait être un bon candidat. Il s'agit pourtant d'un rôle tout à fait anecdotique mais Comoedia liste, le 8 mars 1925, Jules parmi les quatre interprètes principaux du film ! Là encore, si c'est bien lui, son aura dépasse largement l'importance du rôle.

Jules de Spoly dans Le double amour

En cherchant son pseudonyme d'auteur, Don Aminado, dans Amazon, on trouve plusieurs livres dont la couverture reproduisent une photographie qui se voudraient sans doute la sienne. Las, l'homme en question n'a physiquement rien à voir a priori avec ma trouvaille.

Un article clé

Je ne désespère pas et continue à chercher. Et je tombe sur un article de Mon Ciné du 21 mai 1925 entièrement dédié à mon fameux moustachu ! Je découvrirai ensuite que Jacques Richard aura vraisemblablement découvert le même article qui sera sa principale source pour écrire à propos de l'acteur dans son Dictionnaire des acteurs du cinéma muet en France. On apprend dans Mon Ciné que Jules de Spoly a en effet débuté au cinéma le 23 octobre 1920 avec Charles Maudru et Maurice de Marsan dans Le talion, car après avoir fréquenté le milieu théâtral en Russie et son exil en France, il souhaitait se lancer dans le cinéma. L'article confirme que, si le spectateur a potentiellement eu beaucoup d'occasions de voir son visage, son nom reste inconnu du public. Pourtant, cet article s'appuie sur quelques rôles sensiblement plus important que ses habituelles figurations : des photos le montre avec la vedette André Roanne dans Maman Pierre, et avec Pauline Pô dans le récent Prix de beauté où son personnage est même nommé : Lord Douglas. De fait, Le Petit Journal du 27 avril 1922 annonce qu'il s'agit du rôle principal, ce qui peut-être une légère exagération étant donné la présence de Jean Dehelly dans la distribution. On signale également qu'il s'est fait remarquer dans La vérité.

Jules de Spoly et André Roanne dans Maman Pierre

Une impressionnante liste de films est alors donnée auxquels il aurait participé de près ou de loin. Jules raconte que la vedette de La Roue, Séverin-Mars, lui avait promis un grand rôle dans son prochain film en 1921, année de sa mort qui mit fin au projet. Quatre ans après, une nouvelle opportunité n'est toujours pas venue, et nous savons qu'elle n'arriva jamais.

On sait entre autres grâce à Comoedia du 25 juin 1923 qu'il tourne en Savoie un premier rôle avec Mlle Cambon de L'Odéon dans ce qui est probablement un pseudo-documentaire de Maurice Chaillot : Au pied des cascades et des glaciers. Mais il est probable que le genre ne soit pas propice à faire de lui une vedette.

Jules de Spoly dans Prix de Beauté

Il devient administrateur de théâtre par dépit pendant un an et revient à l'écran pour son rôle dans J'ai Tué. On le trouve ensuite sur scène dans l'opérette "La veuve joyeuse" le 9 avril 1925 dans le rôle du gérant. L'article mentionne une proposition d'un grand metteur en scène, sans doute Donatien qui lui offre en effet un rôle récurent de banquier dans deux films : Mon curé chez les riches et Mon curé chez les pauvres. Après un autre rôle identifié, il semble que Jules de Spoly se soit lassé de courir après le succès auquel le parlant aurait de toute façon sans doute mis un terme. Le 22 septembre 1929, La Liberté annonce son départ pour Berlin "où l'attend un engagement."

Jules de Spoly

Les autres apparitions

On peut identifier d'autres rôles : tout d'abord, on aperçoit Jules parmi les invités de la noce dans la copie Pathé Baby de L'enfant du carnaval avec Mosjoukine, peut-être son rôle était-il plus substantiel dans le métrage complet d'origine. Jacques Richard l'identifie comme un "aigrefin à moustache" dans J'ai tué : il s'agit en effet du "Comte Ricardo" s'il on en croit le carton du film. M. de Gaye, qui écrit dans L’Écho National du 2 mars 1923 signale que c'est dans la scène du dancing de Survivre qu'apparaît "le Comte Jules de Spoly" car il a assisté au tournage. Le 28 avril 1921, c'est dans Comoedia qu'on rend compte du tournage d'une scène Chez Maxim's à laquelle participe Jules.

Dans Le Roi de Paris, L'imdb lui attribue le rôle de Devienne, et Comedia révèle le 12 août 1922 que Maurice de Marsan l'a engagé pour jouer le rôle du peintre Detaille et La Liberté du 2 août annonce le rôle de "Maître Detaille". Qui croire sans pouvoir visionner de copie ? En tout cas, l'entrefilet confirme le "rôle important" de Prix de Beauté.

Pauline Pô et Jules de Spoly dans Prix de Beauté

On aurait pu croire que ses rôles de figurant du début aurait fait place, comme dans Le double amour, à des seconds rôles, mais dans Les aventures de Robert Macaire, tourné à la fin de sa carrière, force est de constater qu'il est probablement un des invités d'une des nombreuses réceptions du film, mais n'est en tout cas pas aisément repérable : je n'y ai pas réussi.

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